En janvier 2003, Olivier de Kersauzon et son équipage se lancent à la conquête du Trophée Jules Verne, sur le trimaran Géronimo. Tout au long de cette tentative, un des sponsors, Cap Gemini, tient un journal de bord sur le net, afin de donner régulièrement des informations sur l’avancée de la course. . Pour l’occasion, je fais une évocation du roman “Le Tour du monde en quatre-vingt jours” dans une chronique quotidienne appelée « Aux Quatre-vingt jours ressurgissants ».
Prologue : Le héros, l’équipe, le pari
Qu’est ce qui peut donc conduire quelqu’un à entreprendre un exploit : le goût du risque ? Celui de la démesure. ? L’attrait du gain ? Visiblement, aucun de ces arguments ne convient pour expliquer le comportement de Philéas Fogg : il ne manque ni d’argent, ni de reconnaissance et ne revendique en rien une médiatisation. Pas même une fuite, comme certains auraient tendance à le croire, ou une déception amoureuse… Et lorsque le gentleman anglais parie sa fortune avec les habitués du Reform-Club – “ je peux faire le tour du monde en quatre-vingt jours ! ” – il semble que cette décision se prépare depuis quelques temps déjà et qu’elle n’attend qu’un déclic. A l’occasion d’une partie de whist ? Pourquoi pas ! Sans aucun doute, le projet est déjà ficelé : le parcours vers l’est suggéré par le Morning Chronicle et l’équipier modèle, en la personne du débrouillard Jean Passepartout, trouvé quelques heures auparavant seulement. Ne soyons pas dupes : Philéas Fogg a hâte de tenter l’aventure, de vivre dans une dimension autre que celle de la mesure, du calcul et du confort. De son exigence et de sa précision, il a fait un moteur pour mener à bien son projet… Son pari, qui repose sur un “non” à l’immobilisme, le met dans la lignées des voyageurs réels ou légendaires, tels Ulysse, Marco Polo, Christophe Colomb ou Vasco De Gama. Comme eux, il entreprend de calquer la géographie sur sa propre histoire. Il a même l’ambition non dissimulée d’apprivoiser le temps : comment voulez vous qu’il ne nous fasse pas rêver ?
Jour 1 : Comité de départ
“Monsieur se déplace ?” “Oui. Nous allons faire le tour du monde en quatre-vingt jours.” Voici un programme pour le moins inattendu pour Passepartout qui espérait trouver en Angleterre un peu de calme et de repos. A peine une demi-heure pour préparer les affaires nécessaires à un tel périple : à huit heures tout est prêt lorsque le cab arrive pour les conduire jusqu’à la gare de Charing Cross. Qu’ont-ils emporté ? Caisses, valises, vêtements de pluie, tenue d’été, bottes ? Rien de tout cela : “Pas de malle. Un sac de nuit seulement.” ordonne Phileas Fogg. Même pas de quoi écrire ou tenir un journal de bord…. Et en guise de plan et d’aide logistique, le “Bradshaw’s Continental Railway Steam Transit and General Guide”, autrement dit des horaires de train.
Jour 2 : Train-train
Ce départ précipité ne donne lieu à aucun signe extérieur d’affolement : pas la moindre marque d’émotion. D’autant plus que les membres du Reform Club, présents sur le quai de la gare, limitent leurs encouragements à rappeler les règles du pari : revenir le samedi 21 décembre 1872 à 20 h45. Un “Good Luck” serait il jugé trop vulgaire ou déplacé ? Pas plus d’emportement lorsque Passepartout apprend à son maître qu’il a oublié d’éteindre le bec de gaz dans sa chambre : “Eh bien mon garçon, il brûle à votre compte.” On aurait souhaité départ plus exalté. De ceux où l’engagement habille les émotions : peut être pour le retour ?
Jour 3 : Habits du dimanche
Bien que parti dans l’urgence, Philéas Fogg n’a pas oublié d’emporter son indispensable mackintosh… Rien à voir avec un ancêtre du traitement de texte ou un outil de communication pré-internet et pré-GPS : il s’agit simplement d’un manteau imperméable, qui doit son nom à son inventeur : Charles Mac Intosh. L’usure de ce vêtement racontera certainement les différentes étapes de ce merveilleux voyage…
Jour 4 : Jouer
“C’était quelqu’un de si sérieux qu’il passait son temps à jouer.” : c’est ainsi que Lewis Caroll présente un des personnages de son roman “Alice au pays des Merveilles”… La définition conviendrait parfaitement à Philéas Fogg. Méfiez vous de votre première impression : sa rigidité n’est qu’apparente, elle sert à canaliser une imagination débordante, ayant à coeur de repousser les limites et de les remettre en question. L’inventivité comme valeur, la volonté comme moteur et la précision comme défense : voilà le portrait d’un aventurier.
Jour 5 : Supporters
Personne n’y croit… Des titres de journaux pour saluer l’évènement, pour faire de Philéas Fogg un héros et puis le doute qui vient s’immiscer. Une drôle de règle à calcul vient progressivement réduire à néant les certitudes du départ, décrites dans de multiples articles. Les faux prophètes, porteurs de mauvaise nouvelle, sont formels : un accident, un train retardé, un bateau manqué de peu et c’en est fini du Tour du Monde en quatre-vingts jours ! Pour un peu, on convoquerait les experts pour conforter les avis défavorables. Une soudaine unanimité qui comble ceux qui n’ont plus de rêves depuis longtemps et qui voudraient interdire aux autres d’en avoir. Pire de les réaliser. Faute de moyens de communications, notre “gentleman voyageur” et son fidèle Passepartout demeurent à l’abri de cet orage médiatique, davantage préoccupés par une gestion au quotidien de leur itinéraire. Et s’ils en avaient un quelconque écho, cela freinerait il leur détermination ? Rien n’est moins sûr : la perspective d’une partie de whist l’emporterait rapidement sur une remise en question. Sont ils alors seuls au monde persuadés de la réussite de leur projet ? Non… Un vieux paralytique, Lord Albermale, n’hésite pas à parier cinq milles livres en faveur de Philéas Fogg, arguant que “toute chose est faisable. Il est bon que ce soit un anglais qui le premier l’ai faite.” Étonnante confiance qui associe le goût de l’évasion, même par procuration, au respect du volontarisme. Son périple fini, Philéas Fogg remettra peut être à ce supporter inconditionnel son passeport, rempli des tampons de tous les pays traversés. Dés lors, il suffira au vieil homme d’ouvrir ce document pour voyager à son tour.
Jour 6 : Escroc, voleur, etc.
Hasard ou coïncidence ?… Philéas Fogg et Passepartout sont partis peu de temps après le cambriolage de la Banque d’Angleterre, délestée de cinquante cinq milles Livres en bank-notes. Il n’en faut pas davantage pour que l’inspecteur Fix fasse de nos deux héros les coupables tous désignés. “Leur fuite est un aveu”, une arithmétique simpliste que l’on peut développer à plaisir, en établissant les corrélations entre un départ précipité et d’autres événements survenus dans Londres au même moment : une soudaine montée de la Tamise, une intoxication alimentaire à la cour due à un thé frelaté… Et cette “fuite” de Philéas s’est elle accompagnée de la disparition du “fog” londonien ? Les journaux ne le disent pas.
Jour 7: Et l’Italie ?
Nous ne saurons rien de Brindisi. Jules Verne ne nous en fait aucune description et Philéas Fogg n’y prête aucune attention : pas une aventure, pas un écart. Les trains arriveraient donc à l’heure en Italie et la chaleur de la Méditerranée ne serait porteuse d’aucun trouble, d’aucun désordre ? L’Europe serait donc identique entre la Manche et “Mare Nostrum” ! A moins que tout ce qui est arrivé à Philéas Fogg et à Passepartout, dans cette Italie naissante, ne puisse être raconté en quelques chapitres seulement. Cela mérite un livre entier dense, volumineux, exaltant : “Cinq jours en Italie” : une aventure inédite de notre gentleman voyageur et de son valet. Très bientôt chez votre libraire préféré ! .