Scénariste exigeant et engagé, Frank Giroud revient avec “Le vengeur” (dessiné par Rocco) et “L’échange” (dessiné par Mounier), respectivement épisodes 5 et 6 de sa série Le Décalogue. Une trame originale et envoûtante mise en images par un dessinateur différent à chaque album. Et un public d’aficionados qui se construit peu à peu, attendant la suite avec impatience et jubilation.
Comment est née l’idée du “Décalogue” ?
J’ai commencé par raconter l’histoire d’un roman intitulé “Nahik”, rédigé dans des conditions très particulières et qui, une fois écrit, ne pouvait être publié : c’est le sujet de l’actuel tome 8 du Décalogue. or après avoir terminé ce scénario, je me suis senti comme orphelin. je m’étais tellement investi dans ce travail que je ne pouvais plus me résoudre à abandonner mon univers. C’est pourquoi j’ai conçu un rebondissement qui, quinze ans plus tard, permet l’édition de “Nahik” (tome 7), tandis que je racontais par ailleurs la découverte des documents et objets divers (parmi lesquels une mystérieuse omoplate gravée) utilisés pour la rédaction du manuscrit. Ainsi ,de fil en aiguille, progressant en amont et en aval du récit initial, j’ai fini par tricoter cette saga de 10 albums. Chacun d’eux correspond à L’un des commandements de Mahomet rédigés sur la fameuse omoplate de dromadaire, qui dévoile peu à peu ses secrets. Chaque histoire met en scène les liens dévastateurs que les personnages entretiennent avec Nahik, Tantôt dans un contexte historique (“Le Vengeur” qui se situe en 1922 à Berlin évoque le génocide arménien), tantôt non (“L’Echange” raconte simplement une quête d’identité dans le New York de 1902.
Cependant chaque tome peut être lu de façon autonome…
Oui. Même si Nahik revient dans tous les albums, même si ce livre constitue la colonne vertébrale du décalogue, chaque récit peut être lu indépendamment. mais en prime, une seconde histoire se superpose aux autres. Elle commence avec le tome 1 (Le Manuscrit) et se termine avec le tome 10 (La Dernière Sourate, qui paraîtra en février 2003). Ce dernier volume situé en 632, à la mort de Mahomet, expliquera enfin l’origine de l’omoplate et des dix commandements qui figurent dessus.
Pourquoi ce choix d’une saga ?
J’ai mis au point cette mécanique nouvelle au moment où le principe du récit classique commençait à m’ennuyer. En outre, les deux seuls systèmes existant jusqu’alors présentaient chacun de gros défauts, et pour le lecteur, et pour l’auteur. D’une part, le “one shot” empêche de traiter un sujet à fond et limite également la durée de vie d’un album dans les rayons. D’autre part, la série avec héros récurrent sous-entend la sortie d’un album par an, au risque de lasser celui qui écrit comme celui qui lit. Peu satisfait par ces deux systèmes, j’avais besoin de trouver autre chose. D’où la mise au point du “décalogue”, qui me permet de conserver les avantages de ces deux types de récit en développant une histoire sur plusieurs volumes (comme dans une série) tout en conservant l’enthousiasme d’une nouvelle aventure (comme dans un “one shot”).
Votre éditeur a-t-il accepté votre projet facilement ?
A mon grand plaisir – et presque à ma grande surprise – oui. Lorsque je suis allé proposer “le décalogue” à Jacques Glénat, je lui ai présenté un ensemble cohérent mais indivisible : pas question de morceler le récit, ou de ne publier que certains albums, ce qui aurait complètement dénaturé mon propos. Le pari était risqué car il s’agissait d’un travail que je menais avec passion depuis 5 ans. Or l’éditeur a parfaitement compris ma démarche: il a accepté le projet avec enthousiasme et m’a même aidé à contacter certains dessinateurs, malgré les risques éditoriaux. Heureusement,le public a répondu présent au-delà de nos espérances, puisque nous en sommes déjà à la quatrième édition pour les tomes 1 et 2.
Est il difficile de travailler avec un dessinateur différent à chaque album ?
Non, au contraire. Le choix d’un dessinateur différent pour chaque album renforçait l’idée d’une histoire autonome. Je tenais avant tout à ce que le style de graphisme soit réaliste. A partir de là, mon choix s’est porté sur des dessinateurs avec qui j’avais envie de collaborer depuis longtemps. La sélection s’est faite presque naturellement, en fonction du goût de chacun (Franz tenait beaucoup à faire le dernier tome, “la dernière sourate”) et d’une certaine logique (TBC, dessinateur slovène, me semblait tout indiqué pour illustrer le tome 4, “Le serment”, qui met en scène des yougoslaves). D’autre part, à la richesse des talents s’ajoute également l’efficacité : le fait de travailler avec 10 dessinateurs différents a permis d’éditer “Le Décalogue” en un temps record : 2 ans entre janvier 2001 et janvier 2003.
Vous tournez définitivement le dos aux récits plus classiques ?
Le Décalogue constitue une expérience très riche, et j’ai a présent beaucoup de mal à revenir en arrière. Je ne vais pas pour autant abandonner mes séries en cours (Louis Ferchot et Mandrill), mais je vais les aborder différemment. Ce besoin de me mettre en danger, par exemple, on le retrouve dans le dernier tome de Mandrill, à paraître en avril : dès les premières pages, je “tue” mon héros, ce qui m’oblige à me triturer les neurones beaucoup plus que d’habitude pour retomber sur mes pattes! Quant à l’Expert, nouvelle série destinée à la collection Loge Noire dirigée chez Glénat par Didier Convard, elle comporte également un système narratif différent. Mais je ne m’interdis pas de revenir au récit plus classique l’important pour moi, restant de raconter des histoires !
Articles parus dans La Lettre L’officiel de la BD 9