Concernant la toxicomanie, Grenoble n’a rien à envier aux autres grandes villes.. Drogues douces, héroïne, crack, ecstasy, cocaïne : autant de produits qui apparaissent dans les rapports annuels de la délinquance et dans des solitudes réduites au statut de délinquant. Ce qui fait l’exception grenobloise, c’est peut être la qualité des structures pour prendre en charge ce problème, un savoir-faire et un savoir-réfléchir qui situent la toxicomanie autre part que dans des statistiques et des discours convenus. Etat des lieux.
Le plus souvent, c’est à l’occasion de faits divers ou de la remise des chiffres annuels sur la délinquance que l’on parle de la toxicomanie.. Et en quels termes ? Délit, trafic, violence : il n’est guère besoin de se forcer pour qu’une association toxicomanie- délinquance soit faite, regroupant dans ce schéma simplifié tout ce qui touche à la drogue de près ou de loin : fumeurs occasionnels, consommateurs, dealers, plaques tournantes. Cependant, il existe des structures médicales ou associatives qui refusent ces amalgames et mettent en place des actions individualisées pour venir réellement en aide aux toxicomanes et leur donner les outils en vue d’une guérison et d’une véritable réinsertion. Point de discours moral ou de recettes de cuisine, mais un travail d’écoute et d’accompagnement pour permettre à chaque individu de trouver une issue. Et nous posent implicitement la question “Qu’est ce qu’un toxicomane ?”
Entre orgueil et déchéance
Situé à proximité de la Place Notre-Dame, le Centre Hauquelin existe depuis 1975 et dépend de l’hôpital Michallon. Sa mission essentielle est d’apporter des soins spécifiques aux toxicomanes, grâce à une équipe médicale et de réaliser un accompagnement social vers la réinsertion, encadré par des travailleurs sociaux. Pour le docteur Cornier, médecin psychiatre et directeur technique de ce centre de jour, “il n’existe pas de profils psychologiques spécifiques aux toxicomanes. Ce sont des individus avec des problématiques très différentes.” . Des individus, surtout des hommes (puisqu’ils constituent 75 % de la population toxicomane), qui doivent lutter contre une disqualification sociale qui n’encourage guère à un coming out : quel employeur accepterait un salarié déclarant son état toxicomane.? Et pourtant la drogue a peu de frontières, qu’elles soient géographiques ou sociales. De ce fait, il est difficile d’avoir des statistiques exactes sur la population toxicomane. Les chiffres de la police ne citeront que la toxicomanie associée à des actes de délinquance et ceux des centres d’accueil portent uniquement sur les personnes qui veulent se soigner. Pour les autres, il y a le déni de leur consommation et l’idéal de liberté absolu pour masquer la honte. En effet, la toxicomanie a évolué : elle n’est pas limité à l’usage exclusif de certains produits. Désormais, on n’est plus simplement héroïnomane mais polyconsosommateur : alcool, drogues, médicaments constituent l’éventail de produits que le drogué cherchera à se procurer.
Une affaire de produits ?
À entendre les professionnels qui travaillent dans les structures d’accueil, la guérison du toxicomane ne se borne pas à l’arrêt de consommation de certains produits. D’ailleurs la polyconsommation a rendu les sevrages de plus en plus difficiles : comment se déshabituer de plusieurs produits à la fois, puisque chacun d’entre eux procure une accoutumance physiologique spécifique. “Notre travail essentiel est avant tout de donner aux gens les moyens de se réconcilier avec eux-mêmes” souligne Sabatier, directrice du Centre d’accueil Point Virgule. C’est dans ce but que cette structure met en place un accompagnement axé sur des familles d’accueil qui hébergeront des personnes à l’issue de leur traitement. Il s’agit là d’une phase essentielle où la personne toxicomane doit affronter à nouveau une réalité, dont il avait été séparé pendant longtemps du fait de la consommation de drogues. “La drogue, c’est l’effondrement du relationnel !” précise le docteur Cornier : la nécessité de retrouver celui-ci, en dehors des affinités de consommation, paraît essentiel pour se sortir d’une voie sans issue. Tandis que du côté des autorités policières, on se méfie d’une légalisation jugée laxiste, dans les milieux éducatifs et médicaux, on souhaite poser le problème autrement (lire notre entretien avec le docteur Cornier), même s’il semble important de rappeler la loi. En effet, un traitement des problèmes de drogue essentiellement dans le cadre de la répression a collé l’étiquette de délinquant à de dramatiques détresses humaines ou simplement des erreurs de jeunesse. Ainsi, l’usage du cannabis peut, si l’on se réfère aux textes de loi, être puni d’un an de prison et de 25 000 F d’amende difficile d’en percevoir la force de dissuasion ou l’intérêt thérapeutique !
La farce de l’imaginaire
Malgré des campagnes incessantes, il semble qu’il y ait toujours eu un décalage entre la réalité des toxicomanes et la préoccupation des autorités à leur égard. Discours moralisant encourageant implicitement l’état de déchéance recherché par les “junkies” (ce qui signifie poubelles dans l’argot new-yorkais) ou retards pris dans la mise en place de traitement de la méthadone (même si Grenoble a été une des premières ville à mettre en place des traitements de substitution), il semble qu’on ait mis du temps avant d’écouter un autre discours que celui essentiellement répressif. Même lorsqu’il y avait danger de mort, du fait de la transmission du virus par les aiguilles, on se refusait à voir les chiffres alarmants de la progression du sida et on tergiversait avant d’autoriser la vente libre des seringues : davantage qu’une guérison, on attendait des drogués une rédemption.. et celle-ci devait passer par la mort de beaucoup d’entre eux. Cette mise à l’écart, cette marginalité, ce désir de se perdre si particuliers aux toxicomanes sont aujourd’hui pris en compte : la dernière publication de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie, “Drogues : savoir plus, risquer moins”, met en évidence une volonté réelle d’informer de la part des pouvoirs publics. Informations précises et fournies, incitation à en parler et conseils ont remplacé les menaces et les jugements réducteurs. Les mentalités vont elles suivre ?
Article paru dans « L’Essentiel de Grenoble et de l’Isère »