Le projet de Madame de Maintenon était ambitieux : réunir deux cent cinquante jeunes filles issues d’une noblesse appauvrie et déclinante pour leur donner une éducation et une culture afin d’en faire des femmes libres et affranchies. Hélas, les meilleures intentions du monde peuvent se transformer en cauchemar, lorsqu’elles s’affrontent à l’idéologie dominante (au hasard la religion ou la pression sociale). Ainsi, après un éveil à la culture et au savoir insufflé par Jean Racine (sublime Jean-François Balmer), les jeunes filles auront droit à un stage d’expiation dirigé par un abbé obsessionnel (joué par un extraordinaire Simon Reggiani qui s’est fait la tête d’Antonin Artaud). Saint Cyr est un film d’époque résolument moderne qui doit autant au talent de sa réalisatrice qu’à la qualité des acteurs : Isabelle Huppert est une Madame de Maintenon volontaire, dévorée par ses projets, et partagée entre ses devoirs et son ambition, Jean-Pierre Kalfon interprète avec finesse un Louis XIV monarque éclairé qui se joue des courtisans.
Les deux élèves héroïnes du film, Anne et Lucie, celle qui se soumet jusqu’à la mort et celle qui se révolte sont également interprétées par des actrices remarquables : Morgane Moré et Nina Meurisse. Pour ce film, Patricia Mazuy a préféré la sobriété aux effets de caméra grand spectacle et aux fastes d’une super-production pré-digérant un prime-time du dimanche soir su TF1. Pas d’effets de styles, de gadgets de mise en scène mais une façon de filmer en disant l’essentiel : ce ne sont pas des figurants qui meublent un écran et un budget, mais des comédiens qui habillent une histoire. De ce fait, son propos n’en est que plus percutant et plus audacieux. Ainsi, c’est d’un plan seulement qu’elle nous fait la démonstration de l’extraordinaire obscurantisme des hommes d’églises et d’une violence diffuse insupportable.
On observera avec attention un défilé de prêtres confesseurs nous laissant entrevoir les pires renoncements et on remarquera la qualité des images et des éclairages. Les questions que posent ce film sont multiples et résonnent encore par leur actualité : Qu’est ce que la culture ? L’éducation ? La condition féminine ? L’utopie ? Concernant ce dernier point, la réponse se trouve à la fin : elle permet de construire des Anne révoltées qui choisissent la liberté. Cours camarade, le vieux monde est derrière toi !
Article publié dans Le Petit Bulletin – mai 2000